le cancer et les autres, le cancer, la chimio et moi

De retour chez moi, j’ai fait comme beaucoup, j’ai surfé sur internet pour glaner le maximum d’infos sur le cancer, les traitements, les effets secondaires… J’ai trouvé du bon et du mauvais, de l’info et de l’intox… j’y ai passé des heures, des nuits, à me bruler les yeux, à essayer de trouver des renseignements fiables pour me rassurer. J’ai cherché des pourcentages de survie à 1,  à 5, à 10 ans,(mais 10 ans c’est si court !) des temoignages de femmes survivantes, des informations qui étaient sensées m’aider à continuer, à avancer et à me battre.

Puis ça été la découverte des forums : là j’ai trouvé des soeurs d’armes, des femmes qui vivaient la même chose que moi et pas seulement virtuellement , des femmes à qui je pouvais poser des questions, aupres de qui je pouvais me plaindre, pleurer sans craindre d’ennuyer. Des femmes qui connaissaient ma souffrance puisqu’elles vivaient la même .Quelques unes sont devenues des amies formidables, certaines sont restées, d’autres malheureusement sont parties trop vite.

Ces victimes du cancer  m’ont permis de pallier à l’absence grandissante de mes amis de l’epoque. Par je ne sais quel procédé magique, mon cancer était devenu contagieux au point de me séparer de mes plus proches. Le téléphone ne sonnait pas, on ne prenait pas de mes nouvelles ou de loin, on  passait encore moins me voir.

Bien sur j’ai eu de merveilleuses surprises : des personnes sur lesquelles je n’aurais pas misées un euro, ont été formidables de gentillesse, de présence, d’attention et d’empathie.

Cette maladie m’a permis, comme à beaucoup d’autres je crois, de faire un tri selectif salvateur dans mes connaissances. Je n’en veux à personne. Je comprends que l’on puisse ne pas se sentir concerné, touché par la souffrance, qu’on se sente idiot devant elle, qu’on ne trouve pas les mots pour apaiser. Il faut peut etre avoir été touché par le malheur pour pouvoir l’affronter.

Et puis j’ai rencontré 3 femmes extraordinaires, 3 femmes qui n’avaient pas connu le cancer et qui ont été là, pour moi.Elles ont su m’ecouter, me parler, me regarder pleurer,  me relayer aupres de mes enfants. Elles n’ont pas eu peur, elles m’ont aimé, malade, diminuée, submergée de peur et d’angoisses. elles m’ont aimé comme j’étais à ce moment là, pas aimable et pourtant…..alors merci à vous les filles :-), je sais que vous vous reconnaitrez !

La chimio….. que vous dire ? Ma plus grande angoisse, ma peur la plus viscerale.

Je suis allée à la première sans réellement savoir comment ça allait se passer. Mon père m’a accompagnée (lui aussi a été là, chaque fois que j’en ai eu besoin, avec la réserve qui le caracterisait – Papa tu es parti sans que je te dise merci), sa présence me rassurait un peu, me detournait de ma peur.
Une chambre mauve , chambre d’hôpital, impersonnelle avec un lit, une table, un fauteuil, des murs nus, et l’epouvantable odeur …. un mélange d’alcool et de je ne sais quoi qui me retourne l’estomac.

Des infirmières charmantes, souriantes (mais comment font-elles?), professionnelles. Et puis voilà, on me perfuse et le liquide rouge entre dans mes veines. C’est de l’extrait d’if , de la phytotherapie en somme (!) alors pourquoi ai-je si peur?

Quelques minutes apres le debut de l’injection, on m’apporte le fameux casque : il est bleu et mon Dieu qu’il est froid. Je me suis fait couper les cheveux tres courts afin qu’ils rentrent tous dessous. Il faut le changer toutes les 20 minutes pour qu’il reste à bonne température. La seance dure 3h00, mais finalement, à part le port du casque qui me fait extrêmement mal à la tête, rien ne se passe d’extraordinaire.

Nous rentrons, il est midi, et nous allons même dejeuner au restaurant. Je commence à me dire que finalement les choses vont se passer bien mieux que je l’imaginais.

De retour à la maison, je renvoie la baby sitter que j’avais prévue au cas où. Je me retrouve seule, avec mes deux amours de 4 et 7 ans et tout d’un coup, une sorte de vague me surprend : je vais m’ecrouler sur mon lit, un étau enserre ma tête, j’ai des nausées, je ne peux que rester prostrée, allongée, je ne sais pas ce qui pourrait me soulager. J’arrive peniblement à appeler Jean Claude pour le prevenir. Mes enfants doivent se preparer seuls à manger. J’entends encore le silence pesant qui accompagna leur premier repas post chimio .

Trois jours s’ecoulent et je vais un peu mieux, mais il faut que j’y retourne. La deuxième injection à 8 jours d’intervalle est aussi devastatrice.

Je porte le casque consciencieusement, rappelant aux infirmières toutes les 20 minutes qu’il faut le changer… Pourtant, je regarde mes cheveux s’accumuler au fond de la baignoire. Je fais attention à ne pas trop les brosser, je les lave avec douceur, je compte les jours. On m’a dit qu’on les perdait entre trois semaines et 1 mois et demi apres la premiere chimio. Le temps passe et contre toute attente, je n’ai pas perdu mes cheveux. Ou plus exactement je ne les ai pas tous perdus. Mon cancerologue avait une formule pour ça : « vous les perdrez mais pas suffisamment pour que quelqu’un qui ne vous connait pas, s’en aperçoive ».
J’ai eu cette chance, et j’ai donc porté le casque pendant les douze seances.

Mai à Octobre – 6 mois ponctués des chimios qui me detruisent petit à petit. Plus j’avance, plus je mets de temps à recuperer entre deux …. j’ai 80 ans.

Dès que le diagnostic est tombé, nous nous sommes interrogés Jean Claude et moi, sur ce que nous allions dire aux enfants. La décision a été claire dès le début et prise à deux : il fallait tout leur dire, tout leur expliquer pour ne pas qu’ils imaginent pire que la réalité. Très vite, ils ont été suivis par un psychologue, homme genial qui a su les écouter, les entendre et les apaiser. Le seul bemol que j’ai mis à tout leur dire, parce que je ne pouvais pas l’entendre moi même, pas y penser, pas même l’envisager, est l’eventualité de ma mort.

Alors on a tout dit, le cancer,les operations, les chimios, la souffrance… Lors de la 1ere chimio, mon fils, ne sachant pas ce qui allait se passer pour moi (nous ne le savions pas non plus à ce moment là!) a tout cassé dans sa chambre. Alors j’ai expliqué  : le mechant (le cancer), les alliés (les globules blancs qui de temps en temps perdaient une bataille ce qui expliquait ma fatigue), la gentille chimio surnommee par mon fils le hache viande (du nom d’un personnage de dessins animés).Quand j’allais à peu près bien, nous faisions des batailles de polochons, en distribuant les roles, bien sur j’etais le cancer et bien sur j’etais toujours  aneanti .

Je ne regrette pas notre choix. Pour les enfants, les choses sont plus simples qu’on ne l’imagine : une maladie quelle quel soit, se soigne avec des medicaments, et on guerit. Le cancer est simplement une maladie plus grave que les autres, et plus difficile à soigner. En parler leur a permis de l’apprivoiser , ils n’ont pas peur des mots , ils peuvent regarder quelqu’un de malade sans detourner les yeux, je sais qu’ils sauront l’entourer, lui dire les choses, sans fuir.

Pendant ces presque 6 mois, je n’ai pas vu le jour, j’ai dormi , mangé, souri, pleuré, je suis allée à l’hôpital, je suis rentrée chaque jour plus détruite pour à nouveau retrouver mon lit, ma chambre sans penser, sans rêver, sans réflechir…

Je n’ai pas vecu, je ne me suis pas battue, j’ai juste survécu.

13/10/2009