internet, médecin et patient un trio incontournable
Dans le domaine de la santé, deux mondes s’opposent depuis des siècles. D’un côté le médecin qui connait votre pathologie, sait reconnaître les symptômes et par dessus tout sait comment vous soulager et vous guérir. De l’autre, le patient qui, jusque là, s’en remettait au savoir suprême acquis après de longues études fastidieuses. Ce patient, par ailleurs parfaitement autonome et adulte dans la vraie vie finissait par ressembler à un enfant de 5 ans écoutant religieusement celui qui seul, détient le savoir.
Or depuis quelques années, l’émergence d’Internet a sensiblement changé la donne. Dès que le diagnostic tombe, que font la plupart des personnes sonnées par l’arrivée d’une maladie plus ou moins grave dans leur vie? Ils se précipitent sur un ordinateur et tapent désespérement sous Google, qui le résultat de l’anapath, qui le nom d’un médicament prescrit, qui les pourcentages de survie concernant sa pathologie… Comment lui en vouloir? Resté seul face à la peur, l’angoisse, les questions, parfois se relevant en pleine nuit, il a accès au web – toujours disponible lui – qui regorge d’informations de toutes sortes. Forums, sites, blogs en tout genre pullulent en effet sur le net délivrant une mine d’infos … plus ou moins fiables, il faut bien le dire. Fort de ses trouvailles, le voilà à la consultation suivante, avec une liste de questions pertinentes ou pas, voire avec des certitudes sur le médicament le plus adéquat, sur sa maladie, ses chances de survie etc… Voilà nos médecins déstabilisés, obligés de passer quelques précieuses minutes à infirmer, contredire ou à expliquer ce que jusque là ils taisaient par manque de temps ou excès d’orgueil. Voilà un malade qui peut aller jusqu’à remettre en cause le savoir et la qualité du soignant. Et il est certain que les médecins n’aiment pas ça du tout, on les comprend…
Mais ce patient devenu expert ne serait-il pas un plus dans le processus de soin? La Haute Autorité de Santé (HAS) s’est posé la question lors de ses 4èmes rencontres annuelles, le 03 décembre dernier, dans une session intitulée « Internet, un atout pour la relation médecin-patient « . Denise Silber, fondatrice de Basil Strategies, société de conseil en e-santé, rapporte dans un article sur Carevox, « que 69% des médecins sont confrontés à des patients qui évoquent avec eux les informations médicales trouvées sur internet et seulement 7% d’entre eux les interrogent sur leur usage du web » ! De leur côté, d’après une enquête du CNOM (Conseil National de l’Ordre des Médecins) , « seulement un tiers des patients feraient part de leurs connaissances nouvelles lors des consultations« . Désinvolture, suffisance, méfiance, d’un côté, appréhension, peur, humilité de l’autre? Quoi qu’il en soit nous sommes face à un silence qui me paraît extrêmement dangereux et qui peut aller jusqu’à remettre en cause la confiance, clé de voute des rapports qui régissent un médecin et son patient.
Mais ne jetons pas la pierre si facilement à ces pauvres soignants. En effet, comme je l’évoquais rapidement plus haut, la fiabilité des sites consultés est en cause. Les sites et blogs peuvent bénéficier d’une certification HONcode qui est censée permettre à l’usager d’être certain de la qualité de l’information qu’il va y trouver. Mais la certification Hon est controversée actuellement (le contenu n’étant pas un critère retenu) et quoi qu’il en soit, très peu connue des internautes.
De plus, beaucoup d’informations sont glanées sur les forums dans lesquels on ne peut absolument pas empêcher les gens de raconter leur expérience et dans le même temps contrôler la véracité de leurs dires. Ces échanges bénéfiques pour bien des points, peuvent néanmoins être dangereux dans la mesure ou chaque malade est unique et doit bénéficier d’un traitement qui est approprié à son cas et à lui seul. Or nous avons tous tendance à projeter. Pourquoi ne pas demander à changer de protocole puisque cette molécule a si bien fonctionné pour la voisine? Pourquoi ne pas essayer telle phytothérapie ou telle crème qui a tant soulagé l’autre? Enfin je ne parle pas des sites vantant les mérites des médecines alternatives qui peuvent pousser des patients à abandonner purement et simplement leur traitement. On comprend que les médecins soient frileux ! Mais n’est-ce pas à eux d’infirmer ou de confirmer les croyances de leurs patients? Qui mieux qu’eux sont capables de démêler le vrai du faux? Et pourquoi ne pas le faire directement à la source : sur internet ?
Mais justement, la frilosité des médecins à prendre part à ce qu’on appelle la santé 2.0 est un gros problème. Si l’on voit pléthore de pharmaciens, laboratoires, consultants santé… finalement peu de médecins sont présents sur le net. Or la participation active des jeunes médecins pourraient permettre l’émergence de sites interactifs fiabilisant de fait les informations, et surtout humanisant cette quête virtuelle inéluctable des patients. Je me dois quand même de citer le Docteur Dominique Dupagne qui administre le site et forum Atoute.org et qui fait partie de cette nouvelle génération de médecins convaincus de l’utilité du web dans l’exercice de leur profession. Il y en a, mais encore si peu !
Enfin, comme le rappelle Denise Silber dans la vidéo qui illustre son article, « le patient est le premier membre de l’équipe médicale » et je rajouterai ce, indépendamment d’internet. Particulièrement dans une maladie chronique comme le cancer, il finit par connaitre aussi bien voire même mieux sa pathologie que ses médecins. Il sait quand il a mal, quel médicament le soulage mieux qu’un autre, où l’infirmière peut le piquer sans effort et c’est très souvent lui qui déclenchera la batterie d’examens suite à une douleur qu’il jugera anormale… Au Canada, d’ailleurs, cette constatation a abouti à la mise en place prochaine de formations universitaires pour les patients qui seront presque considérés comme des professionnels à part entière totalement impliqués au côté des équipes soignantes. (voir l’article dans le Devoir). L’expérience a déjà été conduite aux Etats unis avec succès. Les choses semblent donc avancer tout doucement.
Internet, médecin et patient trio vaudevillesque mais surtout incontournable. Il est évident que le patient éclairé, expert ou professionnel, peu importe comment on le nomme, est une réalité devenue évidence grâce ou à cause d’internet. Et à l’aube de cette nouvelle décennie, il est urgent de trouver un équilibre qui doit tendre vers plus de compréhension de part et d’autre gage d’une humanité définitivement nécessaire à la guérison.
Illustration : British Medical Journal (1999) odieusement piquée sur le site atoute.org
Pour en savoir plus :
- le plaidoyer pour une évolution de la relation soignant-soigné de Dominique Dupagne sur le site atoute.org
-
Denise Silber sur son blog : Impact de l’Internet sur la relation médecin-patient : comparaison France & Etats-Unis
Il y a un quatrième partenaire que vous semblez ignoer et qui est sleon mon observation le plus important :
« Le vrai médecin est le médecin intérieur. La plupart des médecins ignorent cette science qui, pourtant, fonctionne si bien. »
Dr Albert SCHWEITZER
Pingback: Cathcerisey sur Blogasty
Pingback: Tweets that mention internet, médecin et patient un trio incontournable « Après mon cancer du sein -- Topsy.com
Je suis en train de lire le livre de Pierre qui résonne à cet article … un prêt de notre amie Mélilotus disponible pour lecture : très très intéressant !
bonsoir,
Il me semble qu’il y a quelques décennies en arrière, ( j’ai 67 ans!)j’écoutais mon médecin et je n’osais pas discuter son traitement. Maintenant, l’information ne manque pas (Internet, revues spécialisées…), ce qui permet d’établir un dialogue avec le soignant et de mieux cerner la pathologie. Il faut tout de même être attentif et ne pas essayer de se guérir avec les expériences des uns et des autres, notre corps est unique et le médecin traitant le connaît mieux que quiconque.
Bonjour Germaine,
Oui tu as raison, rien ne remplace l’expérience d’un médecin… je viens de trouver sur twitter via @fksc_hug (merci Franck :-)) le site d’un médecin qui parle des limites d’internet : très intéressant …
http://l-ordonnance-ou-la-vie.com/2010/12/28/demain-tous-medecins-grace-a-internet/
Un medley entre la connaissance acquise par les patients sur le web et l »expérience inégalée du médecin me semble un excellent compromis !
A très vite
Catherine
Bonjour Catherine,
Tu racontes très bien ce réflexe que l’on a, en effet, d’aller glaner des infos sur Internet… Se lever la nuit en pensant à un mot clé à taper sur Google, combien de fois je l’ai fait ?
J’ai consulté des sites médicaux, des blogs, des forums, des statistiques (qui datent parfois d’il y a 10 ou 15 ans et qui sont obsolettes… et angoissantes car ne tenant pas compte des progrès réalisés par les traitements depuis).
Puis, je me suis calmée car j’ai senti que certaines infos dont la fiabilité n’est pas prouvée étaient très anxiogènes.
Dans ton Post, tu emploies aussi un mot clé, si je puis dire : La confiance. Sujet passionnant et très complexe car la confiance doit exister dans les deux sens, entre le patient et le médecin.
Je pense en tous cas que nous avons de la chance d’avoir accès à tant d’infos, mais il faut savoir faire le tri, ce qui nécessite aussi des infos. C’est un peu le serpent qui se mord la queue…
Heureusement qu’il y a des blogs comme le tien qui font justement ce travail de tri.
Merci beaucoup Isabel 🙂
Tu as raison, il faut effectivement bien regarder les sources et les dates des sites que l’on consulte … les statistiques, les évolutions rapides de la recherche peuvent changer en quelques années, voire quelques mois !
Tu as raison également dans l’aspect interactif de la confiance … s’il parait évident que le patient doit avoir confiance en son médecin, ce dernier doit pouvoir s’appuyer sur l’observance, la volonté de se soigner et d’adhérer aux protocoles du malade. Vaste sujet que j’aborderais certainement dans un prochain post.
A très vite
Catherine